L’expert en marketing Laurent Zahut revient sur la place centrale des algorithmes dans les stratégies économiques, politiques et sociales. Si les réseaux sociaux font aujourd’hui partie intégrante de notre vie quotidienne avec plus de deux heures et demie passées dessus en moyenne par individu par jour, leur rôle et leur influence sur nos comportements évoluent sans cesse. Des parents fiers de leurs enfants affichant avec passion leurs accomplissements, en passant par les influenceurs et les marques, jusqu’aux instances politiques, la communication digitale a pénétré toutes les strates de notre société. Cet impact multicouche provoque nécessairement des changements de paradigmes constants. De quoi témoigne notre utilisation de ces plateformes ? A qui profitent-elles réellement ? Et qu’est-ce qui se cache véritablement derrière ces algorithmes et les contenus qui nous sont présentés ?
Les réseaux sociaux, partout, tout le temps !
En 2018, une étude de l’INSERM portant sur l’impact psychologique et physique des écrans sur le système nerveux, avait analysé sur un panel de plus de dix-mille utilisateurs la réaction physiologique du cerveau pendant la période de consultation numérique. Tout comme les drogues, les réseaux sociaux déclenchent la production de ce que les médecins appellent les molécules de la récompense (sérotonine, endorphine, dopamine, etc.). Nous sommes naturellement récompensés par notre cerveau pour ce temps passif passé à naviguer sur la toile. Chacun y trouve son compte d’informations et contenus en tous genres, et chacun a sa propre vision de leur utilisation. Que ce soit personnel ou professionnel, nous sommes tous à un moment de notre vie, passés par la case réseau social. Les panneaux publicitaires géants et colorés ont été remplacés par de minuscules annonces pixelisées sur Instagram. Les faire-part de mariage se sont transformés en notifications Facebook. Et les campagnes politiques se jouent sur l’échiquier de l’ostentatoire Twitter. C’est simple, vous ne pouvez plus y échapper. Si on ne sait plus s’en passer, c’est aussi parce qu’ils ont leur utilité. Qui n’a jamais regardé un tutoriel sur YouTube pour monter un meuble Ikea aux instructions mal imprimées ? Internet a radicalement bouleversé notre façon de penser la vie quotidienne, car aujourd’hui, il n’existe pas un forum qui n’ait de solution à votre problème. Aujourd’hui, plus que jamais, nos problèmes sont résolus par les autres et nous comptons sur eux pour le faire. Nous sommes devenus dépendants, car le temps passé à surfer, scroller ou chatter, est échangé contre de l’information ou du contenu que nous estimons pertinent, voire utile. La question à se poser maintenant, c’est : comment avons-nous laissé faire cela ? L’a-t-on vraiment, d’ailleurs, laissé faire ou bien avons-nous été totalement manipulés ?
La face cachée des algorithmes : cibler, orienter, commercer, enfermer
Derrière tout réseau social se cache un mécanisme secret et très bien gardé. Un mécanisme tellement bien huilé qu’il est inoxydable et à l’épreuve des chocs. Je parle ici bien sûr de ce que nous appelons les algorithmes. Ces codes, à la complexité variable, sont en réalité des suites d’instructions dont l’ordre et la finalité vont dépendre de facteurs dont vous, utilisateurs, êtes responsables. Il existe aujourd’hui deux types de facteurs : objectifs (démographie, âge, sexe pour ne citer qu’eux) ou subjectifs (préférences musicales, marques préférées, orientation politique). La force des algorithmes, c’est donc d’utiliser tous ces facteurs pour vous catégoriser (cible) et vous pousser (orientation) vers une consommation (commercer) cyclique (enfermement). Vous consommez ce que vous voyez et vous voyez ce qu’on veut vous montrer. Il serait donc très facile pour des instances d’influence comme les organisations politiques ou les lobbies d’orienter les informations, qu’elles soient commerciales ou non et de ne montrer que ce qu’elles souhaitent communiquer. En repensant à la campagne politique de Donald Trump, on se souvient notamment de ses emportements intempestifs sur Twitter qu’il utilisait alors comme un fer de lance de la désinformation partagée non déguisée. Si vous étiez du côté des démocrates, Twitter vous poussait des contenus relatifs à Trump toujours dans le sens de vos convictions, fermant ainsi encore davantage la frontière entre les oppositions en clôturant définitivement toute porte de sortie vers une compréhension mutuelle. Mais pouvons-nous en dire de même des autres pays ? Sommes-nous en France, nous aussi manipulés ? Quelles différences géographiques existent-elles et comment sont-elles utilisées ?
La philosophie géographique derrière les algorithmes de TikTok
Prenons ici l’exemple de TikTok, ce réseau social à la réussite aussi fulgurante que terrifiante. En l’espace de trois ans, la plateforme a rassemblé plus d’utilisateurs que Facebook avait réunis dans ses 7 premières années d’existence avec près de 5 milliards. Dans un précédent article, j’avais parlé des secrets de sa réussite et en quoi cela était principalement lié à sa facilité d’utilisation et son parcours utilisateur autorisant une créativité presque sans limite. Ce dont nous n’avions pas parlé, c’était comment TikTok est utilisé dans chaque pays. Après un petit tour rapide sur le TikTok chinois, une chose flagrante vous saute aux yeux : où sont les influenceurs et autres célébrités encensées, où sont les danses entêtantes et addictives de nos enfants, où sont les blagues et autres défis insensés ? C’est simple, vous ne trouverez rien de tout cela en Chine. Car là-bas, on promeut la réussite par le travail et le talent. On y retrouve des comptes consacrés à des virtuoses de la musique, d’autres aux arts de la peinture ou encore d’autres expliquant comment se comporter et posséder de bonnes manières en société. Des contenus aux antipodes de ce que TikTok USA peut proposer. Si le géant chinois a compris quelque chose, c’est bien la puissance de « propagande » de sa plateforme. Il peut décider quoi et à qui le montrer. Bien loin de la superficialité que l’on trouve souvent sur nos réseaux occidentaux, la Chine utilise le digital pour faire croître les connaissances et compétences de ses habitants. Ce contre-pouvoir exercé tout en douceur, creuse un fossé intellectuel entre des pensées ouvertes, mondialisées, mais fragiles et des idéologies élitistes, protectrices aux allures totalitaires, mais fonctionnelles. Loin d’ici, l’idée de vanter les mérites d’une dictature autoritaire, le regard que la Chine porte sur sa future génération reste néanmoins très intéressant et nous questionne sur notre propre rapport à ces nouveaux médias. Que consomme-t-on réellement quand on suit un influenceur ? A-t-on véritablement choisi d’acheter ce produit ou sommes-nous les victimes du contrôle exercé sur notre pensée par une nation étrangère ? Que ce soit TikTok ou Facebook, il est temps de se demander pourquoi nous les utilisons.
À propos de Laurent Zahut
D’enfant passionné des salles obscures à producteur engagé et novateur, Laurent Zahut a su s’imposer comme une personnalité active et reconnue de l’écosystème cinématographique français et international. Expert en marketing et publicité, il a travaillé avec des géants de la profession (Disney et Universal pour ne citer qu’eux). Il a également produit des affiches de cinéma, réalisé des documentaires ou des courts métrages d’animation. Esthète et passionné par le monde de la mode, ce cinéphile averti offre désormais ses nombreuses expertises en tant que consultant dans les secteurs de la food, de la mode et de l’entreprise.